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UNE PARTIE DU TOUT

 

 

-de Steve Toltz, éd. Belfond,
504 pages, 23€

Quand l’intelligence, la réflexion philosophique et la culture littéraire s’allient à la verve romanesque, l’imagination débridée et l’humour noir, cela donne Une Partie Du Tout, premier roman génial (notre première note maximale) de l’Australien Steve Toltz, finaliste du Man Booker Prize 2008. Voici un ovni à la croisée des chemins de Voltaire, Toole, Irving et Desproges. Une fresque familiale extraordinaire, en 500 pages denses et décapantes, écrites avec une virtuosité rare. Chapeau !

en librairie depuis le 08/01/2009

- par Frédéric VIAUX -

 

- à l’autre bout du monde -

« Bien que l’Australie soit une contrée fertile en événements, ce qui s’y passe est à peu près aussi captivant qu’un journal étranger titrant “Une abeille est morte en Nouvelle-Guinée après avoir piqué un arbre par erreur”. Ce n’est pas notre faute : nous sommes trop loin. C’est ce qu’un célèbre historien australien a appelé la “tyrannie de la distance”. » Sans cette pointe de dérision, la présentation du cadre romanesque pourrait être moyennement engageante, d’autant qu’une bonne partie de l’intrigue va se dérouler dans « l’endroit le moins tentant de toute la Nouvelle-Galles du Sud ». Heureusement, les personnages de Steve Toltz vont dynamiter la banalité quotidienne et traverser l’histoire de ces cinquante dernières années comme des météorites dans un ciel dégagé.

- le miroir à deux faces -

On commence par faire la connaissance de Jasper Dean, personnage central, alors qu’il est en prison. Devant le peu de distractions que lui offre son environnement, outre quelques émeutes, il décide, pour ne pas devenir fou et se soulager du poids du passé, d’écrire son histoire. Car le passé est « une tumeur inopérable qui métastase le présent ».

Son histoire est celle d’un fils et d’un neveu, coincée entre deux figures écrasantes qui ont tracé leur sillon hors des sentiers battus. D’un côté, Martin Dean, son père. Un philosophe autodidacte, génial ou fou selon les points de vue, qui se qualifie lui-même de « grincheux, aigri, dépressif, agressif, fier, laid, méchant, myope, misanthrope ». On pourrait ajouter : sociopathe, loser mégalo et surtout très jaloux de la célébrité de son frère. Ce frère, Terry Dean, c’est l’autre face du miroir dans lequel se regarde Jasper. Un sportif né, puis un criminel en puissance, qui a voulu libérer « le sport des mains sales de la corruption », en trucidant quelques tricheurs.

Dans cette sphère de filiation et d’influence très masculine, où les femmes n’apparaissent qu’en seconds rôles, en arrière-plan historique, Jasper aura toutes les peines du monde à trouver un équilibre entre des aspirations contradictoires.

- le père, le fils et l’esprit philosophique -

Voilà une « trinité » explosive ! La relation père-fils, complexe et destructrice, est au cœur de ce roman. « Durant la plus grande partie de ma vie, je n’ai jamais su s’il fallait plaindre, ignorer, adorer, juger ou assassiner mon père. Sa conduite déroutante m’a rendu perplexe jusqu’à la fin », écrit Jasper. Il y a là un œdipe poussé à l’extrême, nourri d’une répulsion que l’on comprend facilement en lisant la réaction de Martin à la naissance de son fils : « Un bébé ! Un putain de bébé ! Un bipède défécateur informe au cerveau gros comme un pois chiche ! Un horrible homoncule sans dents ! Une incarnation d’ego ! Un serpent de besoins plein d’exigences ! Un primate chauve et geignard ! Ma vie est fichue. » En matière de fibre paternelle, on ne peut guère faire plus mince…

Et pourtant… La haine n’exclut pas une forme d’amour, ou du moins de complicité. Une compréhension, jamais complète, mais qui frôle parfois la télépathie. En fait, Jasper est la seule personne capable d’appréhender son père, car il possède le même esprit noueux et marginalisant. Pas étonnant quand on a été éduqué avec des lectures de Nietzsche ou de Heidegger, le plus souvent hors d’un système scolaire jugé « débilitant, destructeur pour l’âme, archaïque et terre à terre », qui risque de laisser l’esprit « dans les plis du slip de Satan » ! Cet esprit commun donne lieu à des dialogues tantôt cinglants, tantôt irrésistibles de drôlerie, et colore de façon insolite la dimension psychanalytique de l’œuvre.

- l’exaltation romanesque -

Steve Toltz a un formidable talent de conteur. Avec lui, on voyage de l’Australie à la Thaïlande, en passant par Paris. On navigue entre drame épique et intimiste, roman d’aventures, roman d’apprentissage, conte philosophique moderne et comédie satirique. L’écrivain se permet de changer de narrateur en cours de route, ou de proposer des versions différentes de mêmes événements, en variant les points de vue. Le rythme est endiablé. Et l’inventivité stylistique est au rendez-vous, à travers des images et des métaphores étonnantes. Voici, par exemple, comment Jasper décrit sa première petite amie : « Elle faisait quinze centimètres de plus que moi, et avec ses cheveux roux flamboyants, elle ressemblait à un gratte-ciel en flammes. » Il la surnommera donc la « Tour infernale »…

Et puis il y a le foisonnement d’idées. Lorsque Steve Toltz écrit : « Une vie vécue seul affaiblit le système immunitaire de l’esprit, et votre cerveau prête le flanc à une attaque d’idées farfelues », on se dit qu’il épouse complètement la folie de ses personnages solitaires. On le suit alors avec surprise et jubilation dans ses évocations d’une coopérative démocratique du crime et du manuel qui va avec, ou encore d’un bocal de larmes et autres labyrinthes. Mais ce qui sidère le plus, c’est le ton employé. Le tragique est sans cesse désamorcé par un humour ravageur et un sens de l’absurde qui fait mouche. Le sentimentalisme est pulvérisé par une monstrueuse intelligence caustique.

- profondeur et trivialité -

Ce roman est une grosse marmite en ébullition, remplie de réflexions philosophiques, métaphysiques, littéraires, sociales, politiques… On y parle du sens de la vie, de la mort, de l’amour, du bonheur, de Dieu, des médias, de la solitude… tout en citant Oscar Wilde, Leopardi ou Tchekhov. Indigeste et prétentieux ? Pas du tout, car l’érudition est totalement mise au service de l’intrigue, qu’elle éclaire, appuie ou tourne en dérision. C’est à la fois profond et virevoltant. Et animé par un sens permanent du décalage, qui mêle l’essentiel et l’anecdotique. On peut ainsi passer d’une considération sur Dieu (« quand on habite dans une maison, on se fiche, ou presque, de connaître le nom de l’architecte ») à une remarque sur la « façon dont les poissons pas rapides sont parfois assommés par une ancre qu’on mouille »

Idem pour la vision du monde qui se dégage du bouquin. Steve Toltz cite Pessoa, grand pessimiste devant l’éternel, selon lequel l’humanité est « variable mais inaméliorable ». Une sentence définitive que viennent illustrer dans le roman nombre d’exemples de vice, de bêtise, de méchanceté ou de médiocrité. Mais là encore, l’écrivain est assez malin pour truffer son propos de saillies bouffonnes et introduire la trivialité dans de grandes pensées déprimantes. Faut-il préférer la prison ou le suicide, se demande Martin ? Réponse : « J’ai songé qu’il faudrait vraiment que je me tue, cette fois-ci. Je ne pourrais pas aller en prison. J’ai horreur de toutes les sortes d’uniformes et de presque toutes les sortes de sodomie. »

- le monde selon Toltz -

On pourrait gloser pendant des heures sur ce gros pavé, en emboîtant le pas de l’auteur, dont la verve semble inépuisable. D’ailleurs, la fin du roman reste ouverte… Disons simplement, pour conclure, que ce n’est pas tous les jours qu’on referme un livre avec l’impression d’avoir fait un sacré voyage, de s’être bien amusé et d’en sortir un peu plus intelligent ou cultivé. Steve Toltz est un brillant touche-à-tout. Son parcours insolite en témoigne, puisqu’il fut tour à tour professeur d’anglais, responsable de télémarketing, agent de sécurité, détective privé, mais aussi scénariste, caméraman et réalisateur de courts-métrages. En se lançant dans cette peinture exubérante, noire et hilarante de la vie moderne, l'écrivain a fait preuve d’une ambition immense, tout en intégrant la vanité et l’impasse des grandes entreprises philosophico-littéraires. Il s’est attaqué à son sujet avec l’audace et la désinvolture des surdoués, sur un mode qui n’appartient qu’à lui, joyeusement nihiliste. Il n’a exploré qu’une partie du tout, mais quelle partie !16/02/2009

 

- l'auteur, steve toltz -

 

 

 

 

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