-David Carr-Brown et Fabrizio Calvi
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12/02/2010 | >> ACCUEIL |
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- entretien réalisé par Gert-Peter BRUCH & Mina MÉJANI -
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Extrait Vidéo : FBI, ep. 5
- LA MENACE TERRORISTE -
sur France 5, dimanche 14 mars 2010 à 21h30
un film de DAVID CARR-BROWN

Cet extrait du dernier volet de la série documentaire FBI, qui se concentre sur l'entrée du terrorisme islamiste sur le territoire américain et les intérêts US à l'étranger, se focalise sur le rôle de Ben Laden dans les attentats du 11 septembre 2001 et sur la façon dont celui-ci a été confondu par les enquêteurs du Bureau.

AVEC L'HISTOIRE -
Les rencontres avec des témoins directs vous ont-elles procuré une émotion particulière ? Est-ce une des raisons pour lesquelles vous continuez à faire ce métier ?
David Carr-Brown: Oui. Le témoignage est passionnant. On a là des tranches de vie, des photos de tous ces mecs jeunes et vieux. Dans mon imaginaire je les vois jeunes, prenant leur arme et présentant leur badge. Ensuite, dans l’épisode n°2, on voit la déchéance, lorsqu'ils tombent dans les vrais problèmes politiques. Ces tranches de vie sont aussi des drames.
Retrouvons-nous ces personnages clés dans les épisodes suivants ?
Fabrizio Calvi: Oui bien sûr, on les revoit d’un film à l’autre. On les retrouve aussi à la fin du livre, dans un "who’s who" en annexe.
David Carr-Brown: C’est grossièrement chronologique. On a donc au début les plus vieux. Neil Welch est par exemple présent jusque dans le troisième épisode.
Fabrizio Calvi: David et moi avons la même démarche. À chaque fois, on essaye de monter d’un cran et d’avoir le témoin direct. Pas de journalistes, pas d’historiens. Dans chacun de nos livres ou de nos films séparés, on essaye d’apporter un petit élément de plus. Nous avons interviewé en tout une centaine de personnes. C’était extraordinaire. Le plus vieux avait tué des gangsters, le plus jeune nous a parlé du 11 septembre… On parcourt ainsi un siècle d’Histoire, à travers des témoins directs. Un siècle de l'Histoire des États-Unis mais aussi un siècle de notre Histoire, parce que notre imaginaire s’est entièrement nourri de ça. C’est fascinant de rencontrer ces hommes et David avait raison en disant que c’était un vrai défi et un bonheur. Pendant huit mois, on a passé notre temps à interviewer des gens au cœur de l’Histoire. Ils ont interrogé les responsables des grandes affaires criminelles du siècle dernier et du début de ce siècle.
David Carr-Brown: Il y avait une vraie complicité dans cette recherche, parce qu’ils s’intéressaient au recoupement de leur interrogatoire avec ceux de leurs amis. Eux aussi cherchent la vérité sur leur vie : ce ne sont que des hommes.
Certains ont dû vous dire des choses qu’ils ne se sont pas dites entre eux.
Fabrizio Calvi: Beaucoup n'avaient pas été interrogés. Bizarrement, personne n’a eu la curiosité d’aller les voir et de leur poser des questions. Ils nous ont donc accueillis à bras ouvert, quand nous avons eu le feu vert du bureau. C’était des retraités, établis en Floride.
David Carr-Brown: Il y a un élément très important : ces mecs avaient envie de parler.
Pourriez-vous nous résumer la série documentaire, épisode par épisode ?
David Carr-Brown: Le premier épisode traite de l’image et de la prise de pouvoir du Bureau. Le deuxième se focalise sur le Bureau et son rapport au pouvoir ; ça débute avec Mississipi Burning, époque à laquelle on demande au Bureau de s’occuper des problèmes de droits civiques, ce qu’ils va faire admirablement. Puis la méthode dégénère, jusqu’au point où les agents outrepassent un peu le droit, notamment contre les étudiants, etc. À ce moment, ils réalisent qu’ils vont trop loin et veulent tout arrêter, mais Richard Nixon insiste pour qu’ils continuent. Ils refusent alors de le faire. C’est ce qui conduit au Watergate : le Bureau est véritablement amené à faire démissionner le Président après avoir orchestré une sorte de "coup d’État mou" contre Nixon. Après ça, les membres du FBI impliqués dans l’affaire ont été sévèrement punis au cours d'un procès, dans les années 1980. Nous avons donc toute cette histoire vécue de l’intérieur. Le troisième épisode nous montre la guerre contre la mafia. Celle-ci met en lumière un problème de méthodologie. Ils ont utilisé des méthodes dépassant les normes admises, jusqu’à aller trop loin contre la criminalité organisée. Exemple : l’infiltration dans la mafia avec Donnie Brasco, dont nous avons toute l’histoire. Le traitement des informateurs mène jusqu’à l’histoire de O’Neil, celle du long métrage The Departe, et John Connolly, qui finit en tôle..
Fabrizio Calvi: Le dilemme est : jusqu’où peut-on aller lorsqu'on lutte contre le crime organisé ? Ne perd-on pas son âme à lutter contre le diable, à fraterniser d’une certaine manière avec lui pour avoir des résultats ?
David Carr-Brown: Le quatrième chapitre est intitulé American Psycho. Il s’attarde sur le Behaviour Science Unit. Il s’agit du département d’étude des comportements, qui traite des problèmes psychologiques des agents, étudie les profils des criminels et des justiciers, forme des hommes pour s'occuper de l'entrée et de la sortie des agents infiltrés, et effectue des négociations.
Fabrizio Calvi: En fait, c’est un film sur la violence et la criminalité aux États-Unis qui prend comme symbole le Behaviour Science Unit, chargée de décortiquer le comportement des tueurs. Cette violence-là va jusqu’aux prises d’otages, puisqu’on revient très longuement sur celle de Waco, racontée de l’intérieur par les agents.
David Carr-Brown: Enfin, le cinquième épisode suit toute l’histoire du contre-terrorisme et de ses méthodes, allant jusqu’à la torture. Depuis 1993 jusqu’au aujourd’hui.
N'a-t-il pas été difficile de receuillir ce type de renseignements ?
Fabrizio Calvi: Bizarrement non. Un des agents a joué un rôle central. Il n’a pas voulu qu’on voit son visage, mais on a pu filmer son témoignage. On pensait effectivement que ce serait la partie la plus délicate mais, en réalité, ils ont envie d'en parler. Il y a une mise en cause, des théories de complot, et ils ont envie de s’expliquer, de se justifier face à cela. Oui, il y a eu des défaillances, il y a eu des faiblesses, il y a eu des failles, mais ils expliquent à chaque fois pourquoi. Cela a été pour nous une vraie nouveauté, d'apprendre comment ils auraient pu arrêter les pirates du 11 septembre, et pourquoi une machine bureaucratique américaine les en a empêchés. C’était une vraie surprise de voir qu’il y avait une réelle liberté de parole sur ces sujets. La même dont disposent désormais ceux qui ont traqué les gangsters, les nazis, lutté contre la criminalité organisée ou les tueurs en série.
David Carr-Brown: Ils nous ont expliqué qu’après le 11 septembre le FBI militait contre la torture. Donc ce sont eux qui ont laissé filtrer des informations à la presse.
Fabrizio Calvi: Ils se sont surtout opposés à la CIA contre la torture. Certains des agents interrogés ont assisté à des interrogatoires musclés de la CIA et ont claqué la porte en disant « on ne fait pas ça. » Ils n’ont pas la mentalité d’agents secrets. Ils ont celle de policiers. Ce sont de grands flics.
Sur la centaine de témoins que vous avez interrogé, l’un d’entre eux est-il sorti du lot ?
Fabrizio Calvi: Neil Welch, peut-être. C’est notre chouchou, parce qu’il est totalement oublié des histoires du FBI. On a été le voir parce que c’était un pionnier de la lutte anti-mafia et on s’est aperçu, en l’interrogeant, que cet homme était central dans l’histoire du FBI, qu’il a failli en devenir directeur, qu’il a participé aux luttes contre le Ku Klux Klan, qu’il a dénoncé les opérations de désinformation et de contre-espionnage COINTELPRO menées par le FBI dans les années1960. C’était effectivement plus qu’un pionnier de la lutte contre la criminalité organisée. Il n’est pourtant dans pratiquement aucune histoire du FBI. Son livre était introuvable. J’ai donc commencé l’entretien et quand je me suis aperçu de tout ce contexte, j’ai arrêté et lui ai dit « excusez-nous, on revient demain. On n’a pas fait nos devoirs. » Ça a été un choc de le rencontrer et c’était vraiment la seule fois où l'on n’était pas au point. C’est un franc-tireur, un solitaire. C’est lui qui a sauvé l’honneur du Bureau, d’une certaine manière.
David Carr-Brown: Oui c’est un personnage formidable..
Fabrizio Calvi: Mais tous nos agents sont formidables !12/02/2010



