**

- DRAMATURGIE ÉLÉMENTAIRE -

Monet passe à la sauvagerie terrible de Belle Ile en 1886 et découvre l’océan. Comme à chaque découverte, dans laquelle il plonge délibérément pour en saisir le mystère, c’est une révélation : le fond est là, sous une forme perpétuellement nouvelle et enthousiaste. Tout lui semble différent de sa Normandie natale et Monet s’en ravit d’autant plus, puisqu’il y trouve un terreau fertile à la « dramaturgie élémentaire » dont il veut habiter son art.

Mais s’il cherche la lumière, qui donne corps aux variations chromatiques de ses visions, est ce pour en faire surgir les formes fugitives qu’elle fait apparaître ou bien ces dernières ne sont-elles qu’un moyen intuitif de saisir l’essence, la présence de l’indicible ?

- LE DIALOGUE DE LA CULTURE
ET DE LA NATURE -

Les sensations sont régies par quelque chose de paradoxal dans les sujets du peintre. Monet excelle également dès qu’il s’agit d’exploiter la force du paysage urbain en plein essor, qui vient renverser le caractère bucolique des sujets, comme l’exception qui confirme une règle.

Le chef de file du mouvement impressionniste est un homme curieux, idéaliste. Il passe ainsi sans fioritures aucune d’une nature dans tout ce qu’elle a de plus primitive et de plus instinctif à la vivacité technique de son temps : on pense aux séries de la gare Saints Lazare, en passant par des vues audacieusement plongeantes des rues animées de Paris en 1876 et 1897, qu’il réalise avec Renoir.

Les vues architecturales des stations balnéaires, très en vogue en 1870, forment un formidable compromis entre ses deux directions, une sorte de dialogue émulatif entre nature et culture, l’éclatante lumière des bords de mer venant magnifier l’œuvre de l’homme pour l’auréoler en son sein.

- MONET EN SERIAL PAINTER -

La digestion des visions urbaines trouve son point d’orgue à partir de 1890, année décisive, lorsqu’il se tourne de façon quasi définitive vers une peinture de type sérielle. A partir de là, c’est la manière avec laquelle il conquiert le visible qui est intéressante. Il varie sur les mêmes thèmes : des meules, des cathédrales, des gares, des ponts, des falaises...

Observons plutôt la grande qualité de ces variétés : vues sous toutes ses coutures, tous ses instants, toutes ses saisons. Un seul et unique sujet se transforme alors en un voyage profond et inattendu. C’est justement là ou Monet est grandiose, parce qu’il rend au quotidien et à son immobilité apparente son caractère aventureux. C’est un sentiment difficile à atteindre.

- LES BRUMES HUMAINES -

Fugitifs ou insaisissables, les personnages de Monet sont ils de simples figurants ou les véritables acteurs de l’instant dépeint ? L’implication de la figure humaine sert parfois de prétexte plastique à la volonté de l’artiste de se diriger vers une réflexion de fusion des éléments, mais aussi des contraires. En s’évertuant à tenter la capture d’un instant, dans tout ce qu’il a de plus éphémère, Monet se met en phase avec le divin.

Les Lilas, Temps Gris, de 1872, ou l’autoportrait façon nymphéas de 1917 évoquent tous deux la similitude savante de ses personnages et de ses paysages. Une espèce de dissolution du concret, pour n’en retenir que l’essence, la nature diffuse , l’aura. Autre exemple : dans Déjeuner Sur L’Herbe (1865), la figure humaine est littéralement immergé dans l’environnement.

Monet remporte avec brio la démonstration de l’unité qui régit l’homme et la nature. Les visages sont intériorisés, plastiquement dilatés, comme pour rendre plus intemporel ce qui se trouve derrière le voile de la sérénité, du quotidien, de l’immobile.

- SCÉNOGRAPHIER MONET : UN DÉFI
ENTRE TRADITION ET INNOVATION -

Les cinq commissaires de l’exposition (Guy Cogeval, Richard Thomson, Sylvie Patin, Anne Roquebert et Sylvie Patry) ont brillamment su tirer profit du pari difficile de cette nouvelle rétrospective : face à un cas d’école tel que celui de Monet, il s’agit d’avoir l’art et la manière de faire redécouvrir un classique, tout en parvenant à l’impliquer dans une perspective d’innovation.

La scénographie est articulée de telle façon que le visiteur attentif peut sortir du Grand Palais enrichi d’une réelle expérience intime et sensitive avec Monet. L’accrochage, mûrement réfléchi et habilement mis en œuvre, nous prouve que tout n’a pas été dit sur lui. C’est sur ce point que l’exposition à souhaité rebondir : de par son agencement, elle pose des questions, mais n’en donne pas la clé, pour le plus grand bien de la postérité de l’artiste.

- MONET IMPRESSIONNE ENCORE ET TOUJOURS -

Presque à pas feutrés, on entre dans la matrice de l’impressionnisme, et ce n’est pas rien. Au fur et à mesure, l’orchestration de ses toiles dévoile la véritable prédilection de l’homme derrière le pinceau .C’est moins le paysage que les éléments solaires et aquatiques qui détiennent les rôles principaux de ces dernières. Tout au long de sa carrière, Monet en sublimera les possibilités.

Selon les goûts de chacun, on saisit l’apothéose, l’obsessionnelle rencontre des éléments, là où l’on est capable d’en reconnaître la présence. Le choix est large. Alchimiste des fugaces variations de l’eau et de la lumière, Monet à réussi à transcender l’indicible dans tout ce qu’il a de plus impénétrable et de plus clair à la fois.

Cette sensation vertigineuse, que tout homme a éprouvé à un moment clé de sa vie, là voilà devant vous, dans cet héritage inépuisable de sensations que l’artiste à offert à qui saura le recevoir. Parfois comme un coup de fouet délicieux, tantôt comme une longue distillation émotive. La fameuse impression...20/12/2010